Le pèlerinage à Larequille
Tous les ans, pour la Toussaint, nous allions sur la tombe des parents de mon père. Nous partions le matin de Chamalières , descendions à Clermont chercher mes grands parents, puis prenions la direction de Saint Pourcain sur Sioule pour le déjeuner. On s’entassaient sur la banquette arrière de la DS, mes grand-parents, ma sœur et moi, et c’était parti.
Dans la famille, on est très Citroën. Mon père a eu une traction avant, une 11, qu’il avait acheté avec son père, moitié moitié. Il doit exister une photo d’eux deux, où ils posent fièrement devant la voiture. Il eut sa période rebelle avec une aronde (une Simca!), et il était fier d’évoquer les sensations qu’il éprouvait avec le puissant moteur de 45ch. Mais il rentrât dans le rang ensuite. Il eu ensuite 2 DS et une ID, deux GS, dont une avec le fameux compteur à rouleau, qui me fascinait. Je rêvais qu’il acheta une SM, mais c’était au dessus de ses moyens. Il eu ensuite deux BX, dont une chocolat au lait, une Xantia, et finalement une C4. Ma mère eut d’abord deux Renault, une cinq chevaux, sa première voiture, dont elle était très fière évidemment, puis une dauphine. C’est d’ailleurs dans cette dauphine qu’un jour, en 1973, ma mère s’étant arrêtée prendre de l’essence au garage des thermes, dans l’avenue du même nom , remontât s’asseoir en disant à ma sœur et moi, c’est fou comme l’essence a augmenté! Elle a doublé! Je me tournais alors vers la pompe à essence, et à travers la vitre arrière de la dauphine, put lire 00,50. 50 centimes ! C’était des centimes de francs bien sûr. Mais elle ne put ensuite se résoudre à continuer cette folie Renault, et acheta une deux chevaux. Le jour de l’achat, elle vint la montrer à ses parents. Elle l’avait garée dans la petite rue perpendiculaire au boulevard côté Blatin, et nous descendîmes en courant pour voir la merveille. Je me souviens avoir été un peu surpris par la forme un peu ronde, mais surtout la capote! Je revois encore le ciel au-dessus de nous quand nous partions en ballade et que nous avions décapoté. Elle eut une autre deux chevaux je crois, avant d’avoir une AX, qu’elle garda de longues années. Il faut avouer qu’il y’a de bonnes années Citroën, et de moins bonnes années.
Mais pour aller à Larequille, nous prenions la DS. Il y avait les fans de la DS, et les anti DS. C’était une voiture clivante comme on dit aujourd’hui. Parce qu’il y avait la fameuse suspension hydropneumatique, qui était très très souple, et donc très confortable. Mais il y avait un inconvénient, il y avait pas mal de roulis dans les virages. Et certains étaient un peu malade en voiture. Moi même, bien que nous ayons fait des centaines de kilomètres pour aller en vacances, dans ce palace roulant, il m’arrivait de pas supporter parfois ce roulis important. Et mes parents devaient s’arrêter parfois pour nous. Mais la place à l’arrière était phénoménale! Sauf qu’à quatre avec mes grands parents, bien que nous soyons enfants, la place se réduisait pas mal!
Ma grand-mère était anti-DS. Sûrement parce que mon père était pro DS. Alors le roulis, elle ne supportait pas. Et dès les premiers virages du bourbonnais, nous nous sentions écrasés les uns contre les autres, et ma grand-mère de crier « Gérard! Ralentissez! Nous allons tous rendre! ». Mon père devait sûrement le faire exprès de rouler un peu vite, ça devait l’amuser d’emmerder la belle mère. Et donc c’était dans des éclats de voix qu’on atteignait Saint Pourcain sur Sioule.
Nous allions traditionnellement déjeuner à la bonne auberge. Je ne me souviens pas de ce qu’on mangeait, mais je me souviens qu’il y avait un baby foot. Et je regardait, envieux, des jeunes gens jouer. Ils faisaient preuve d’une dextérité incroyable, faisant passer la balle, fabriquée dans une matière un peu spongieuse et donc légèrement molle, de rangée en rangée, la bloquant sous les talons des joueurs, la faisant glisser latéralement, jusqu’à ce qu’elle atteigne la première rangée. Là, c’était le duel face au gardien de but. Il fallait simuler un tir, mais l’enjeu était de prendre le gardien par surprise. Faire semblant de tirer pour que le gardien parte d’un côté, mais retenir le tir, et dans la foulée, d’un mouvement ferme de rotation du poignet, tirer dans le coin opposé. La balle cognait alors l’arrière de l’embout, fabriqué en métal, et il y avait ce bruit si caractéristique qui signifiait que le but était entré. Je n’oublierai jamais ce bruit, unique, de la balle qui cogne le métal de l’embut. Un son un peu clinquant mais aussi un peu assourdit, avec également un peu d’écho, créé par l’espace d’air entre la paroi métallique et le corps du baby foot. Parfois, la balle heurtait l’embut mais ressortait, et il y avait alors « gamelle ». Il fallait rejouer la balle. Soit le joueur marquait de nouveau, et marquait alors deux points, soit il ratait et il perdait alors l’avantage et n’en marquait aucun. Les points était comptés grâce à de petits rouleaux qui coulissaient sur une tringle métallique, de part et d’autre du terrain, derrière les buts. 10 rouleaux. Une rangée rouge d’un côté et bleu foncé de l’autre. De la même couleur que les maillots des joueurs. Il y avait aussi un autre mouvement qui m’impressionnait, quand le joueur essayait de marquer depuis la ligne arrière. Le joueur, ayant bloqué la balle par un des arriéres, relevait ses jours des deux autres lignes avec son autre main, les maintenant à l’horizontale, afin de ne pas gêner son tir. Puis, faisant rouler la balle de joueur en joueur latéralement, essayant de tromper l’adversaire qui cherchait à contrer, il décochait un tir qui parfois entrait dans le but avec ce même son caractéristique. C’était évidemment une prouesse applaudie par les spectateurs. Si la balle sortait du terrain, à la suite d’un tir trop appuyé par exemple, alors elle était remise en jeu par le défenseur dans le coin du terrain. A cet endroit, le terrain est légèrement surélevé. Le joueur laisse alors descendre la balle doucement du coin, et la bloque avec un de ses joueurs arrière . Pour passer la première ligne d’avants de l’adversaire, l’attaquant renvoie la balle en arrière en faisant rebondir la balle sur le fond du terrain, rapidement, jusqu’à ce qu’il détecte un passage pour faire une passe à ses demis, qui généralement ne font que dévier la balle vers sa ligne d’avant qui l’a bloque, avant de mettre en joue le gardien. C’était un véritable spectacle. Il y avait tout un vocabulaire pour décrire les mouvements des joueurs : pissette, râteau, roulette, demi.
Le repas terminé, nous prenions la direction du cimetière. Nous arrivions sur la tombe de mes grands parents. Je me souviens que de jours maussades, voire pluvieux. La tombe était sinistre, en mauvais état. L’arrière était fait d’une sorte de cabane en zinc, délavée par la pluie, et partiellement défoncée par le vent. Mon père essayait de remettre un peu d’ordre là dedans, mais il n’y avait pas grand chose à y faire. Je me souviens de me demander pourquoi diable venir se faire enterrer dans un endroit si moche. Je crois n’avoir jamais rien vu d’endroit aussi triste de ma vie, à cette époque. Et de me dire que jamais, moi, je ne me ferais enterrer dans un endroit comme celui là. En plus, mon père me disait que ses parents étaient enterrés l’un sur l’autre, et non pas l’un à côté de l’autre. Bien sûr c’était moins cher car prenait moins de place. Et je m’imaginai donc les deux corps l’un sur l’autre, forcément un peu tassés, et c’était un cauchemar.
Puis nous remontions en voiture, toujours serrés à l’arrière , et c’était le retour vers Clermont, avec les mêmes éclats de voix de ma grand mère et mon père. C’était un voyage épique vraiment. A part le voyage pour se rendre en cure thermale dans la Nièvre, c’était le plus épique. En général, au retour, on s’arrêtait à Aigueperse. Pour acheter des pralines. Les pralines étaient vendues dans une boîte en ferraille, de section elliptique et peinte de couleur vert foncé, avec des inscriptions jaunes plutôt pâle si je me souviens bien. Je me demande bien pourquoi nous achetions ces pralines, parce qu’à part une sur le retour, une fois arrivés on rangeait la boîte et n’en mangions jamais. En tous cas pas moi, je ne trouvais pas ça très bon. Peut être mon père? C’était une noix à l’intérieur (amande, noisette?), recouverte d’un caramel assez cuit, croquant, avec quelques grains de sucre. Rien de spécialement original à mon goût. Quand on rentre dans Aigueperse, il y a deux maisons dont les façades ne sont pas alignées sur la rue, mais dont l’angle avance vers la chaussée, et se font face, le trottoir se réduisant aussi un peu. Elles forment une sorte de porte d’entrée sur la vile. Et je me souviens me dire que c’était bien un peu risqué de voir deux voitures se croiser là et de se heurter. Et bien ces deux maisons sont toujours là! Rien n’a bougé.
Quand on sort d’Aigueperse, on commence à apercevoir le puy de Dôme. Invariablement, quand nous passions par là, ma mère nous disait « ah, et bien je me sens mieux, je me sens chez moi ». Car nous avions fait un sacré voyage! C’est amusant de se remémorer ces instants, d’une époque décidément révolue. La mémoire nous joue des tours pendables!
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